Par Philippe Chalmin
La guerre en Ukraine est dans son deuxième mois et les retraits russes – pour ne pas dire la débâcle – dévoilent les horreurs de guerres sur lesquelles l’Occident ne peut plus fermer les yeux. Hésitantes d’abord, les sanctions se font plus systématiques et touchent désormais le cœur de l’économie russe et par ricochet les principaux canaux de l’économie mondiale ce qui explique l’extrême nervosité des marchés à commencer par ceux des matières premières.
Le 8 mars fut ainsi une journée d’anthologie avec le nickel à $ 100 000 la tonne, le blé presque à $ 14 le boisseau (et au-delà) de € 400 la tonne), le gaz naturel un moment à € 345 le MWh en Europe, l’électricité en moyenne journalière à € 700 le MWh, le pétrole à $ 139 le baril de Brent, l’or au-delà de $ 2 000 l’once… Depuis, les choses se sont un peu calmées et un mois plus tard le pétrole était revenu entre $ 100 et $ 110 le baril, le gaz naturel en Europe à € 100 le MWh… Quant au nickel, après un épisode très discutable de fermeture du contrat au LME, il peinait à retrouver ses marques entre $ 30 000 et $ 40 000 la tonne (quand même…). Les marchés prennent au fond leurs marques « post-Ukraine » et deux crises majeures émergent : la crise énergétique bien sûr avec toujours le gaz en vedette (deux fois plus cher que le pétrole en Asie et en Europe) et le problème pour l’Europe d’arriver à se passer du gaz russe à l’horizon de l’automne prochain. Mais au fond, cette crise énergétique était bien prévisible (l’importance des sanctions prises et à venir, c’était quand même un peu moins). La crise agricole, elle, l’était beaucoup moins. Certes, la flambée des prix des engrais dans la foulée du gaz naturel remonte à l’automne 2021 et on pouvait en anticiper les conséquences pour 2023. La fermeture de la mer Noire n’a duré qu’un temps et si les exportations ukrainiennes restent toujours très limitées (par ail ou par la Roumanie); la Russie a presque repris un trafic régulier. Il en coûte simplement aux importations $ 100 à $ 150 la tonne de plus pour le blé ce qui inquiète à juste raison pour les pays les plus pauvres, de la Tunisie au Liban. La vraie question est celle de l’avenir de l’agriculture ukrainienne dans les mois à venir : les semis de printemps pourront-ils avoir lieu alors que les hommes se battent contre l’envahisseur russe ? On doit anticiper une campagne 2022-2023 pratiquement sans exportations ukrainienne si ce n’est le report non exporté de la campagne actuelle. Sur un marché tendu, à la merci du moindre accident climatique, les mois à venir promettent d’être périlleux sur les grands marchés agricoles. Signalons d’ailleurs aussi les tensions sur les marchés des produits laitiers et de la viande bovine, la viande porcine semblant avoir enfin un peu rebondi des niveaux plancher qui furent les siens en 2021.
Pour les produits industriels, on ne peut à proprement parler utiliser le mot de crise. La guerre en Ukraine a aggravé les tensions déjà existantes pour les métaux non ferreux. Remarquons que la fièvre passée, les prix de l’or et des platinoïdes sont retombés à leurs niveaux antérieurs. Quant à la folie du nickel, il s’agit avant tout d’un squeeze dont a été victime un producteur d’acier inoxydable chinois dont le pari spéculatif à la baisse était pour le moins aventureux.
Mais en fait, la flambée la plus extraordinaire de ce premier trimestre 2022 n’a rien à voir avec la guerre en Ukraine : en trois mois, le prix du lithium sous toutes ses formes (carbonate, hydroxyde, minerai) a doublé et par rapport au début 2020, il a décuplé ! La transition énergétique n’est pas un long fleuve tranquille !
Enfin, un autre marché, en pleine passion des NFT et du métavers, s’apprête à vivre un moment « physique » exceptionnel : en mai, chez Christie’s à New York sera vendu une des icônes d’Andy Warhol, sa Marylin (Monroe) dont on attend $ 200 millions, soit l’équivalent quand même de 450 000 tonnes de blé !
Les adhérents de CyclOpe peuvent d’ores et déjà retenir la date du 8 juin 2022 pour la présentation du trente-sixième rapport CyclOpe, le CyclOpe 2022 qui emprunte cette année son sous-titre à Stefan Zweig : « Le monde d’hier ».
Ephémérides économiques
24/02
• Invasion de l’Ukraine par la Russie
28/2
• Premières sanctions occidentales contre la Russie
• Les banques russes exclues de SWIFT (à l’exception de Gazprom bank et Sberbank)
• Statu quo pour l’OPEP+
7/3
• Flambée des matières premières : pétrole, gaz naturel, blé, palladium, électricité…
• Le nickel à $ 100 000 : fermeture du contrat du LME
• Embargo américain sur pétrole et gaz russe
• Renforcement des quotas indonésiens d’exportation d’huile de palme et flambée des huiles
14/3
• Premières négociations Russie-Ukraine ; la guerre s’enlise
• Siège de Marioupol
• Cible de croissance chinoise : 5,5 %
• Hausse des taux américains de 25 Pb
• Prix industriels (PPI) aux États-Unis en février : + 10 %
21/3
• 10 millions de réfugiés en Ukraine
• Tensions sur le pétrole russe ; fermeture de l’oléoduc de la Caspienne (CPC)
• Attaques houthies en Arabie saoudite
• Confinement de Shanghai
• Arrêt des activités de Renault en Russie
• La Russie demande à être payée en roubles pour son gaz
28/3
• Hausse de 54 % de la facture de gaz des ménages britanniques
• Négociations Russie-Ukraine en Turquie
• Inflation : 7,5 % en zone euro (9,8 en Espagne)
• Prévision des « sages » pour la croissance allemande en 2022 : + 1,8 %
4/4
• Découverte des massacres en Ukraine
• Embargo européen sur le charbon russe
• « Victoire » d’Orban en Hongrie
• Inflation en Turquie : 61 %
• Crise économique au Sri Lanka