Par Philippe Chalmin

Ce mois de novembre avait presque bien commencé malgré le froid qui, gagnant l’Europe, poussait les prix du gaz naturel – et donc de l’électricité – à des niveaux record. Les chiffres de croissance économique étaient plutôt bien orientés avec quand même quelques ratés au Japon, au Brésil (en récession !) et surtout en Chine où il fallait bien parler de stagnation. Mais enfin, la vie reprenait et la perspective des fêtes de Noël et/ou de fin d’année semblait prometteuse.
Et voilà donc que tout s’effondre et que l’Avent (pour les chrétiens…) se transforme en carême universel. C’est d’abord, en Europe, une « cinquième » vague touchant d’abord l’Autriche et l’Allemagne puis le reste des pays plutôt du nord vers le sud. Et puis, surtout, c’est l’apparition d’un nouveau variant, Omicron, sur lequel les laboratoires pharmaceutiques semblent se casser les dents. Résultat, un véritable « Black Friday » sur les marchés boursiers et pour nombre de matières premières à commencer par le pétrole qui perd $ 10 le baril en une seule journée. Que penser désormais des prévisions économiques publiées par les uns et les autres ? Omicron va-t-il tout balayer ? En ce début de décembre, l’incertitude est totale. Une chose est certaine, toutefois. 2022 sera encore une année marquée par la pandémie, moins violente peut-être qu’en 2020, mais d’autant plus persistante qu’une bonne partie de la population de la planète n’a toujours pas accès à la vaccination soit du fait de sa pauvreté (Afrique), de l’incompétence des politiques publiques (Brésil) et aussi des peurs et incompréhensions.
Dans ce contexte, l’autre mauvaise nouvelle c’est l’inflation, et de plus en plus l’inflation sous-jacente. Les cyniques pourront dire que c’est une manière élégante de gommer peu à peu les dettes accumulées – pour la bonne cause certes – ces deux dernières années. Mais les Banques centrales n’aiment pas ce genre de discours et il faut bien anticiper un resserrement de leurs politiques monétaires déjà pratiquement acquis aux États-Unis (ce qui a contribué à renforcer le dollar, au moins face à l’euro). Il est possible qu’Omicron provoque une pause dans ce retour à l’orthodoxie (dont le futur ministre des Finances allemand, issu du FDP, sera un avocat farouche). Bien entendu, l’une des causes de l’inflation et surtout de la hausse des prix industriels (qui un peu partout est de l’ordre de 10 à 13 % auxquels il faut ajouter l’augmentation des taux de fret et des délais logistiques) est quand même l’accumulation de crises qui ont marqué les marchés de commodités.
L’année 2021 a été faite de vagues qui ont successivement porté tel ou tel produit au plus haut avant que le ressac ne les fasse reculer. En cette fin d’année, les « vedettes » sont l’étain, le blé et le café tandis que le gaz naturel et le fret conteneurs restent soutenus. Par contre, il semble bien que les pics et sommets atteints par le minerai de fer, le maïs et le soja, l’aluminium, le pétrole et le vrac sec soient pour de multiples raisons derrière nous.
Trois « crises » en fait marquent cette fin d’automne. Il y a d’abord – et toujours – la crise logistique sur le marché des conteneurs tant en termes de prix que de délais liés à l’engorgement des ports. Cette crise devrait se prolonger fort avant 2022 et on en sait les conséquences sur les chaînes de valeur.
La crise énergétique – en Europe et en Asie – durera ce que durera l’hiver. « Grâce » à Omicron, le pétrole en est sorti, mais l’élément essentiel cette année est le gaz naturel dont la dimension géopolitique – avec les menaces russes sur l’Ukraine – aggrave encore les tensions. Les prix du gaz resteront tendus au moins jusqu’au printemps et avec eux donc, le marché spot de l’électricité en Europe : le 26 novembre, l’indice Nordpool a battu un record historique à € 228 le MWh.
Est-il exagéré de parler d’une crise agricole ? Les indices de CyclOpe tout comme ceux de la FAO sont au plus haut depuis 2011. Les tensions sont incontestables pour le blé (€ 300 la tonne à Paris, un record soutenu par la baisse de l’euro sur le dollar) et en particulier pour le blé « de force » : en de nombreux pays (Australie, Canada, France), la qualité n’est pas au rendez-vous malgré des tonnages élevés. Les récoltes de l’hémisphère sud s’annoncent en effet exceptionnelles et pour l’instant, les emblavements de l’hémisphère nord se déroulent correctement. Mais là aussi, il faudra surveiller le jeu russe et la tentation pour Poutine d’utiliser l’arme du blé à l’instar de celle du gaz. Mais la question essentielle, pour presque tous les produits agricoles, à l’exception quand même du café et du cacao, est celle qui concerne les importations chinoises : du maïs et du soja certes, mais quels tonnages de blé, mais aussi de viande porcine, de poudre de lait… ? La Chine détient maintenant – là aussi – la clef des marchés mondiaux.
Quant aux minerais et métaux, les tensions demeurent donc pour l’étain (qui a franchi la barre des $ 40 000 la tonne pour la première fois de l’histoire (le précédent record, de $ 33 000 était de 2011) qui profite de la demande pour les soudures dans l’électronique. L’ensemble des marchés des métaux « électriques » demeure soutenu à l’image du lithium, du cobalt, mais aussi du nickel. Mais c’est la situation de fer et de l’acier qu’il faut surveiller. Depuis ses sommets du mois d’août, le minerai de fer a perdu plus de la moitié de sa valeur et évolue désormais autour des $ 100 la tonne : l’offre est abondante et la demande chinoise plus hésitante.
Enfin, un secteur échappe à toute forme de morosité et affiche, en ces temps de doute sanitaire, des résultats presque « indécents » : c’est celui de l’art. Les ventes d’art contemporain à New York ont réalisé plus de $ 2 milliards en quelques soirées : Rothko, Giacometti, Van Gogh, Cézanne ont mené le bal. De cette crise, les riches et les puissants sortent presque indemnes.
L’art tout comme les métaux précieux demeurent des valeurs refuge en ces temps marqués aussi de nouvelles tensions géopolitiques attisées par toutes les dictatures (sous couvert plus ou moins démocratiques) qui, de l’Éthiopie à la Turquie ou à l’Iran, de Xi Jinping à Vladimir Poutine, se rapprochent dangereusement de points de tension de non-retour.
Il en est ainsi du monde en cette fin d’année : bien des incertitudes, bien des risques et des marchés qui en sont le fidèle reflet. Mais qui donc avait parlé de « la fin de l’histoire » ?

Ephémérides

1/11

• Ouverture de la COP26
• Ratification de l’accord RCEP : Asean, Chine, Japan, Australie, Nouvelle-Zélande
• Aggravation de la guerre civile en Éthiopie
• Trève entre les États-Unis et l’Europe sur les droits américains sur l’acier et l’aluminium
• Croissance du PIB de l’UE au Q3 : + 2,2 %

8/11

• Adoption d’une résolution « historique » confortant Xi Jinping au Plenum du Comité central du PPC
• Inflation américaine en octobre : 6,2 %
• Éclatement de General Electric
• Crise des migrants entre Biélorussie et la Pologne
• Clôture d’une « petite » COP26

15/11

• Japon Q3 : – 0,8 %
• Décision de suspendre le processus de certification de NordStream II
• Cinquième vague du Covid en Europe
• Narendra Modi retire ses propositions de réformes de la politique agricole en Inde
• Records aux ventes aux enchères d’art contemporain à New York : plus de $ 2 milliards
• Coalition en Allemagne : Olaf Scholz chancelier

22/11

• Reconduction de Jérôme Powell à la Fed
• Le carbone en Europe à € 75 la tonne ; le blé à € 300 la tonne
• Décision américaine et quelques autres d’ouvrir une partie de leurs stocks stratégiques de pétrole : 70 millions de barils
• Apparition du variant Omicron
• « Black Friday » sur les bourses mondiales et sur les matières premières

29/11

• Reprise des négociations nucléaires entre les États-Unis et l’Iran à Vienne
• Annulation de la conférence plénière de l’OMC
• Tensions Russie/Ukraine
• Brésil en récession
• Annonce du plan « Global Gateway » de l’UE (€ 300 milliards en six ans)
• Projections de croissance du commerce mondial de 23 % en 2021 à $ 28 000 milliards