Par Philippe Chalmin

En cette deuxième rentrée de pandémie, le monde hésite entre optimisme et fatalisme. Le bilan du Covid s’alourdit et d’après les calculs de The Economist, ce sont quinze millions de victimes qu’il faut mettre à son actif, plus de trois fois les chiffres officiels. L’Asie est de loin le continent le plus affecté et la tenue – sans public – des Jeux Olympiques au Japon en a été la triste confirmation.

Grâce aux mesures de relance adoptées un peu partout et au « quoi qu’il en coûte » des politiques publiques, aidées en cela par des taux d’intérêt historiquement faibles – et en réalité bien négatifs en valeur réelle – le rebond économique attendu s’est concrétisé et la croissance mondiale est de l’ordre de 5 à 6 %, plus forte aux États-Unis qu’en Europe et au Japon. Néanmoins, à l’approche de l’automne, un certain essoufflement se fait ressentir un peu partout, y compris en Chine. Le temps du rebond semble déjà passé et le mot de « stagflation » oublié depuis les années quatre-vingt revient à l’esprit.

Pour l’instant, parler vraiment d’inflation semble exagéré, quoique… La hausse des prix est de 5 à 6 % aux États-Unis, de 3 % en Europe (ce qui donne des taux longs réels historiquement négatifs). Cette hausse concerne aussi les prix des actifs (actions, immobilier…) et bien sûr les matières premières.

Un peu comme la pandémie, les marchés de matières premières ont en réalité connu plusieurs vagues. Certaines se sont déjà cassées, mais d’autres sont venues dans un contexte de tensions au niveau des transports et de la logistique.

Au début de 2021, la vigoureuse reprise de la Chine puis des États-Unis avait provoqué une véritable flambée des prix des matières premières industrielles à l’image du minerai de fer, du cuivre, du bois de construction aux États-Unis et de quelques autres produits. Avec l’engorgement des ports et la véritable explosion du prix des conteneurs au départ d’Asie, on parla même de pénuries dans certaines filières industrielles. Le pic de cette première vague a été atteint entre mai et juin. Depuis, on a assisté à un réajustement parfois assez violent des extrêmes : en août, le minerai de fer a perdu $ 80 la tonne, le cuivre s’est réajusté et le bois américain a reculé des deux tiers.

Mais une autre vague était alors à l’œuvre portée par des soucis climatiques et environnementaux. Même si globalement les récoltes mondiales s’annoncent proches des records, quelques accidents climatiques ont pris de l’ampleur : neige et gelées au Brésil; sécheresse en Argentine et au Canada, recul des productions céréalières en Russie… Les tensions sur les grains se sont poursuivies en particulier pour le blé (tendre et dur). Mais le sucre et surtout le café sont aussi entrés dans la danse. Malgré la chute des prix du minerai de fer, la hausse des prix de l’acier s’est poursuivie de manière spectaculaire, notamment aux États-Unis. Parmi les métaux non ferreux, l’aluminium et l’étain ont pris le relais du cuivre et du nickel et le coton a remplacé le bois parmi les matières premières agricoles. Enfin, tandis que l’OPEP+ parvenait, malgré les aléas de la consommation menacée par le Covid, à maintenir le prix du baril de Brent autour de $ 70, le gaz naturel – et dans une moindre mesure le charbon – lui volaient la vedette. Dans nombre de cas, les engagements pris en termes de transition environnementale expliquent ces hausses, et ce d’autant plus qu’une autre « commodité » décollait enfin : il s’agit des certificats de carbone en Europe (au-delà € 60 la tonne) un marché qui est de plus en plus une référence au niveau mondial.

En ce début de septembre, l’acier, l’aluminium, le blé, le café, le gaz naturel, l’étain et bien entendu le fret maritime (sec et conteneurs) sont en vedette. Plus en aval des secteurs industriels, du bâtiment à l’agroalimentaire sans oublier l’automobile, sont touchés par des hausses de prix, des difficultés d’approvisionnement, voire des pénuries. En Europe, cela est amplifié par la baisse de l’euro par rapport au dollar.

On connaît la thèse dite du « super cycle » portée depuis le début de l’année par quelques analystes et en particulier par Goldman Sachs. D’un point de vue historique, celle-ci est infondée, les cycles des marchés des matières premières s’étalant en général sur des périodes longues, de vingt à trente ans. Mais d’un point de vue conjoncturel aussi, l’idée selon laquelle les prix des matières premières seraient inexorablement tirés à la hausse dans un scénario de pénurie globale pour une planète proche de l’apocalypse finale tient de la fantasmagorie. Bien sûr, on ne peut négliger les tensions à l’œuvre pour des produits dont la demande augmente du fait de nouveaux besoins liés en particulier à la transition environnementale : lithium et terres rares (mais qui font rêver les Chinois en Afghanistan), gaz naturel même. Bien sûr aussi, il faut tenir compte des conséquences du changement climatique sur les productions agricoles et sans aller même jusqu’aux prophéties du GIEC, on doit accepter l’idée d’aléas climatiques de plus en plus récurrents : on reparle ainsi pour 2021/2022 de la Niña. Au-delà, on peut aussi s’inquiéter des conséquences des nouvelles pratiques culturales sur les potentiels agricoles de certaines régions comme l’Europe. L’extrémisme écologique trouve là ses limites.

Ceci dit, les fondamentaux des marchés demeurent globalement équilibrés, voire excédentaires. Il y a ainsi 10 millions bj de capacités de production de pétrole inutilisées. Les productions agricoles mondiales vont battre – ou presque – des records en 2021/2022. Nombre de marchés de minerais et métaux à commencer par le minerai de fer sont aussi excédentaires.

La véritable interrogation est comme à l’habitude chinoise. Les dernières données en provenance de Chine font état d’un ralentissement manifeste accentué dans certains secteurs comme la sidérurgie par des contraintes environnementales enfin – semble-t-il – prises au sérieux. Ce qui est clair, c’est que les importations chinoises ont diminué : en juillet – par rapport à juillet 2020 –, les importations de fer étaient en baisse de 21 %, celles de pétrole de 19 %, de plastiques de 31 %, de soja de 14 %… Certes, un mois ne fait pas une tendance, mais le moteur chinois risque de tourner au ralenti dans les mois à venir. L’interrogation est encore plus forte pour les marchés agricoles tant le niveau réel des besoins chinois pour la campagne 2021/2022 est difficile à anticiper : ainsi les importations de viande porcine sont en forte baisse alors que les prix sur le marché intérieur ont été divisés par deux en six mois.

Au-delà de la Chine, l’autre grand problème est celui de la logistique et c’est lui en fait qui a provoqué sur les biens manufacturés, mais aussi pour les matières premières des craintes de pénuries et de ruptures d’approvisionnement. L’indice du Baltic pour le vrac sec a dépassé les 4 000 (il était à 500 au printemps 2020, à 1 500 encore en début d’année). La hausse la plus forte affecte les grosses unités (Capesize) affectées aux minerais, mais elle touche aussi les Panamax utilisés pour les grains. Mais ce n’est rien par rapport aux tarifs des conteneurs qui dépassent maintenant les $ 10 000 pour un « 40 pieds » au départ d’Asie. Et cela ne tient pas compte des retards accumulés dans des ports saturés. Le retour à la normale promet d’être long !

Qu’anticiper alors pour les mois à venir ? En raisonnant à situation sanitaire, climatique et géopolitique à peu près constante (et donc en imaginant une lente décrue de la pandémie sans nouveau variant) et en tenant compte du ralentissement de la croissance de l’économie mondiale, le scénario global de repli des prix des matières premières demeure le plus pertinent. Bien entendu, chaque marché a sa propre histoire : quelles conséquences par exemple le piteux retrait américain d’Afghanistan entraînera-t-il pour les négociations en cours sur le nucléaire iranien ? Qu’attendre de la Russie sur le marché européen du gaz naturel maintenant que Nordstream II est à peu près terminé ? Comment vont évoluer les relations commerciales entre la Chine et les États-Unis, entre la Chine et l’Australie ? Peut-on enfin espérer quelque résultat concret de la COP-26 qui donnerait un élan supplémentaire au marché du carbone ?

L’automne en tout cas promet d’être passionnant !

Ephémérides

5/7

• 4 millions de morts « officiels » de la pandémie
• Crise de l’OPEP après le blocage des Émirats arabes unis
• Assassinat du président à Haïti
• Confirmation de la sortie des troupes américaines d’Afghanistan

12/7

• Présentation du Pacte vert européen : « Fit for 55 »
• Accord au sein de l’OPEP+
• Abandon par l’UE de projet de taxation du numérique
• Croissance chinoise au premier semestre : 12,7 %

19/7

• Ouverture des J.O. de Tokyo
• Élection du « marxiste » Pedro Castillo au Pérou
• Échec du G20 Environnement à Naples
• Flambée des prix du café : gelées au Brésil

26/7

• Prévisions de 6 % de croissance mondiale (FMI)
• 29 juillet : jour de dépassement
• Accord États-Unis/Allemagne sur Nordstream II
• Croissance américaine au deuxième trimestre : 6,6 %

2/8

• Le CAC au plus haut depuis 2000
• Variant Delta en Chine
• Investiture du président Raissi en Iran

9/8

• Publication d’un rapport de groupe du GIEC
• Adoption par le Sénat américain du Plan Biden de $ 1 200 milliards
• Prise de Kabul par les talibans
• Juillet 2021 : mois le plus chaud depuis 142 ans
• Cinquantième anniversaire de la fin du système de Bretton Woods
• Messi au PSG !

16/8

• L’indice du fret sec du Baltic à plus de 4 000
• Chute des prix du minerai de fer
• Achat de blé par l’Algérie à $ 350 la tonne cf

23/8

• Évacuation de Kabul par les Occidentaux
• Rupture des relations entre le Maroc et l’Algérie
• Fortes hausses des prix du gaz naturel

30/8

• Baisse de l’activité en Chine : l’indice PMI inférieur
à 50
• La tonne de carbone en Europe à plus de € 60
• L’aluminium au plus haut depuis dix ans
• Estimation par The Economist de 15 millions de décès du Covid
• Coup d’État en Guinée, premier producteur mondial de bauxite
• Démission du Premier ministre japonais
• Fin du mercato européen du football : € 3,5 milliards