Par Philippe Chalmin

Il n’y aura pas eu de trêve estivale sur les marchés mondiaux des commodités : la guerre en Ukraine, les derniers soubresauts du Covid, notamment en Chine, de nouvelles tensions autour de Taïwan et puis aussi des menaces de récession ont bien occupé des marchés de plus en plus nerveux.
Une fois de plus, c’est le gaz naturel qui a été la « vedette », l’arme du gaz étant aux mains de la Russie la plus létale de toutes. Fin août, les prix atteignaient en Europe des niveaux vingt fois plus élevés que ceux des années 2010. Et dans son sillage le gaz entraînait l’électricité vers de nouveaux records : € 700 le MWh soit près de dix fois plus que ce que paient les ménages français (et € 1 200 à la toute fin août) ! Mais en Asie, les prix du GNL atteignaient aussi des niveaux jusque-là inconnus, plus de $ 300 le baril équivalent pétrole. La sécheresse en Europe et en Chine, les problèmes du parc nucléaire français, les limites à l’exportation du GNL américain et bien sûr le chantage russe autour des problèmes « techniques » de NordStream 1, tout a joué pour provoquer cette flambée des prix qui fait craindre un automne bien difficile en Europe, mais aussi en Asie du Nord. La demande s’est reportée sur le charbon dont les prix ont dépassé les $ 350 la tonne, sept fois plus qu’en 2020 ! Là aussi, les problèmes climatiques ont joué en Europe comme en Chine.
Le climat s’est en effet rappelé aux bons souvenirs de tous les climatosceptiques de la planète : canicule en Europe, sécheresse, violents orages, la nature semble avoir pris sa revanche face à l’inaction des hommes. Pourtant, si l’effet conjugué du climat et de la guerre en Ukraine a été si important, c’est bien que l’Europe – mais aussi la Chine et d’autres pays d’Asie – étaient engagés dans une transition énergétique qui a augmenté leur dépendance au gaz. Faute de renouvelables, on a assisté à un retour au charbon et même au fuel, et puis aussi à un retour en grâce du nucléaire qui avait fait les frais du verdissement du paysage politique européen.
L’autre grande crise de l’été a été agricole et alimentaire. Le blocage des ports ukrainiens a provoqué une diminution de moitié des exportations : 10 millions de tonnes seulement ont été exportées entre le 24 février et le 15 août contre 19 Mt l’année précédente. Mais ceci a affecté surtout la campagne de maïs, l’essentiel du blé ayant été exporté avant le début de l’invasion : sur 2021/2022, l’Ukraine a malgré tout exporté 48,5 Mt de grains, 8,5 % de plus que sur la campagne précédente. Le lien qui a été fait – notamment par les Nations unies et la FAO – entre la crise alimentaire que connaissent nombre de pays d’Afrique et du Moyen-Orient et la guerre en Ukraine est très exagéré. Les prix du blé qui avaient flambé début mars se sont assagis pour perdre une centaine de dollars la tonne et revenir aux niveaux de l’automne 2021, lorsqu’ils avaient été bousculés par l’importance des achats chinois. Les perspectives agricoles restent d’ailleurs bonnes avec une excellente récolte de blé en Russie et des niveaux satisfaisants en Europe, Amérique latine et en Amérique du Nord. Comme c’est souvent le cas, la crise alimentaire, dans la plupart des pays concernés, est plus liée à la folie des hommes et à l’impéritie de leurs gouvernements qu’à la situation de marchés, enfin « rémunérateurs » pour les producteurs.
Dans une certaine mesure, ce sont les marchés des minerais et métaux qui auront marqué une véritable pause estivale. Il faut y voir les conséquences du ralentissement chinois et plus largement des doutes sur la croissance économique mondiale. La plupart des marchés des métaux sont à des niveaux bien inférieurs aux records de mars 2022 (30 % en moyenne). Toutefois, la hausse des prix de l’énergie et les problèmes provoqués par la sécheresse à la production hydro-électrique soutiennent quelque peu les métaux les plus énergivores comme l’aluminium et le zinc.
Quelles perspectives en cette rentrée ? Sur le plan économique, la morosité est à l’ordre du jour et tôt ou tard, le mot récession apparaîtra en Amérique du Nord, en Europe et au Japon. Il aurait presque pu en être de même en Chine, mais les chiffres « officiels » resteront positifs : la bonne tenue du Congrès du PCC qui doit adouber
Xi Jinping comme « dictateur à vie » est à ce prix. Sur le plan sanitaire, on ne peut oublier le Covid et ses résurgences possibles : l’alphabet grec est encore long… La carte géopolitique est bien sûr la plus incertaine : l’hiver est encore loin en Ukraine et aucun scénario permettant de mettre fin aux combats n’apparaît plausible. Au contraire même, l’axe des despotismes risque de se renforcer. De l’autre côté, Joe Biden, guère convaincant en matière de politique internationale (mais qui l’a été aux États-Unis depuis Nixon ?), aborde les élections de mi-mandat dans une position légèrement plus favorable qu’il y a quelques mois ; il risque quand même de perdre le Congrès. En Europe, les augures ne sont guère plus favorables de l’Italie au Royaume-Uni.
Sur les marchés des commodités, ce sont le gaz naturel au niveau mondial et l’électricité en Europe qui tiendront le haut du pavé. Le pétrole devrait rester dans la zone des $ 100 le baril de Brent, probablement même un peu en dessous. Les marchés agricoles devraient poursuivre leur détente avec toutefois deux inconnues majeures : tout d’abord la situation en Chine et l’impact de la sécheresse sur le niveau des importations de grains. Comme en 2021, c’est la Chine qui est la clef des marchés des grains à l’automne 2022. L’autre incertitude pour la campagne à venir concerne le prix des engrais et son impact sur les productions. Le recul des prix se poursuivrait par contre pour la plupart des métaux.
Tout ceci reste bien entendu parfaitement aléatoire à la merci du moindre grain de sable géopolitique en Ukraine, à Taïwan, dans le Golfe ou en Iran… Et puis, en Europe au moins, il faut aussi tenir compte de l’affaiblissement de l’euro, désormais autour de la parité avec le dollar.
Voilà en tout cas plus de doutes que de certitudes, plus de questions que de réponses. Il faut pourtant avancer : Tempus neminem manet (le temps n’attend personne).

Ephémérides économiques

4/7

• Investiture en France du gouvernement Borne II
• Septième vague de Covid en Europe
• Le baril de brent en dessous de $ 100
• Démission de Boris Johnson au Royaume-Uni
• premier déficit commercial allemand en trente ans

11/7

• Arrêt « technique » de Nordstream 1
• Crise politique en Italie
• Croissance chinoise au T2 : + 0,4 %
• Inflation américaine : + 9,1 %
• Crise politique au Sri Lanka
• Canicule en Europe

18/7

• Chute de Mario Draghi
• La tonne de minerai de fer (cf. Chine) à moins de $ 100
• Proposition de plan de sobriété énergétique européenne (– 15 % de gaz)
• Hausse de taux de la BCE (50 Pb)
• Accord Russie-Ukraine sur les expéditions maritimes de céréales

25/7

• Le gaz naturel en Europe à plus de 200 euros le MWh
• Croissance américaine au T2 : – 0,2 % ; croissance française  : + 0,5 %

1/8

• Visite de Nancy Pelosi à Taïwan
• Sortie d’Ukraine d’un premier vraquier de céréales
• Hong Kong en récession
• Hausse de 100 000 bj du quota OPEP pour septembre

8/8

• Début des vendanges en France
• Adoption par le Congrès américain de la
« Loi Biden » sur l’économie et l’environnement (Inflation Reduction Act)
• Négociations à Vienne sur le dossier nucléaire iranien

15/8

• Un an de domination des talibans en Afghanistan
• Baisse des taux en Chine
• Sécheresse en Chine
• Flambée des prix du gaz et de l’électricité en Europe
• Rumeurs d’accord possible sur le nucléaire iranien

22/8

• Records historiques pour le gaz et l’électricité en Europe
• Six mois de guerre en Ukraine
• L’euro inférieur au dollar !

29/8

• L’électricité en Europe à € 1 200/MWh !
• Inflation en août zone euro : 9,1 %
• Le G7 Finances veut plafonner le prix du pétrole russe

30/8

• Mort de Mikhail Gorbatchev