Par Philippe Chalmin et Yves Jégourel – L’attente…

Le 9 novembre, l’annonce par Pfizer et BioNtech de résultats provisoires très encourageants dans leur course au vaccin anti-covid a fort logiquement soufflé un vent d’optimisme sur les marchés boursiers mondiaux, et notamment ceux des matières premières. Sur l’ICE, le Brent a ainsi franchi – pour l’échéance décembre –
le seuil de $ 45/bbl lors de la séance du 11 novembre, tandis que, sur le Nymex, le WTI s’établissait, lui, au-delà de $ 42/bbl, soit un plus haut niveau depuis le 1er septembre 2020. Un même phénomène a pu être observé,
le 16 novembre, après une annonce similaire par Moderna. Cette trajectoire haussière a été, il est vrai, également soutenue par des stocks mondiaux en baisse régulière depuis les sommets atteints durant l’été. En effet, ils s’établissaient, selon les données de Kpler accordées à CyclOpe, à environ 3 670 millions de barils (Mb) le 11 novembre contre 3 720 Mb, environ, un mois plus tôt. Bien sûr, les positions prises par les money managers ont sans nul doute joué (les données de la Commodity Futures Trading Commission n’étant pas encore disponibles pour cette période) et il y avait là – au mieux – un rebond sans que l’on puisse encore croire à une amélioration durable des fondamentaux du marché pétrolier. À $ 40-45/bbl, Brent et WTI restent, depuis les premiers jours de septembre, dans une configuration marquée par une absence de tendance haussière ou baissière et par une volatilité bien plus importante que celle observée durant la période estivale. Le brut fait d’ailleurs pâle figure face à un « Docteur cuivre » dont les cours n’ont cessé de croître depuis le point bas atteint le 23 mars : de $ 4 620/t à cette date à plus de $ 7 000/t le 9 novembre, un seuil qu’il avait quitté en juin 2018. S’échangeant autour de $ 1 900 l’once depuis septembre, l’or, lui, ne bénéficiait pas de cette embellie et il n’y avait nulle surprise à cela.

Malgré les perspectives prometteuses d’un vaccin disponible pour les premiers mois de 2020, les marchés pétroliers demeurent donc logiquement prudents face à une deuxième vague qui, pour l’instant, continue de croître avec un nombre de contaminations record aux États-Unis et une Europe aux prises avec un nouveau confinement. L’OPEP a ainsi abaissé ses prévisions de croissance de la demande de brut pour 2021 à
6,25 millions de barils/jour (Mb/j), soit 96,26 Mb/j, ce qui pourrait conduire l’OPEP+ à maintenir ses efforts de réduction de la production… voire à les accroître si l’on en croit les récentes déclarations d’Abdelmadjid Attar, ministre algérien de l’Energie. Le déni de réalité de Donald Trump, l’absence de lisibilité sur sa stratégie de sortie et le silence coupable d’un Grand Old Party dans cette période transitoire du Lame Duck n’ajoutent guère aux incertitudes présentes : comme l’a rappelé Mark A. Milley, Chef d’Etat-Major, l’administration ne répond in fine qu’à la constitution et rien ne peut laisser raisonnablement à penser que Kamala Harris et Joe Biden n’entrent pas en fonction le 20 janvier, date de l’investiture officielle. Ils garderont néanmoins les yeux rivés sur le 5 janvier, jour de l’élection sénatoriale en Géorgie dont l’issue déterminera en large part les degrés de liberté dont disposeront les démocrates pour mettre en œuvre leur politique économique. D’ici là, la valse des nominations aux postes-clés du pouvoir américain pourrait certes, à brève échéance, peser sur la géopolitique mondiale, mais ceci s’apparenterait alors aux soubresauts d’une fin d’histoire ayant trop duré. Pour le monde des matières premières, nulle surprise ne semble devoir être attendue de l’administration Biden. Le limogeage de Mark Esper, secrétaire d’État à la Défense au profit de Christopher Miller, favorable à un durcissement politique vis-à-vis de l’Iran, ainsi que l’accumulation récente de sanctions envers Téhéran ne devraient notamment pas empêcher le quarante-sixième Président américain de ré-ouvrir le dossier du nucléaire iranien. Le processus de restauration de la confiance sera néanmoins aussi long que complexe et il y a fort à parier que la perspective d’une normalisation de relations politiques et économiques envers la République islamique ne soit entérinée par l’ensemble des parties prenantes avant la fin de la pandémie. En d’autres termes, la restauration de la capacité d’exportation de l’Iran, soit environ 2,5 Mb/j, ne devrait être effective avant que la demande de brut ne se redresse durablement. Il n’y a donc peu que d’effets dépressifs sur les prix à attendre si, bien sûr, l’OPEP+ s’accommode de cette présence renforcée de l’Iran sur les marchés mondiaux. Un même processus long et complexe caractérisera le retour des États-Unis au sein de l’accord de Paris. Bastion démocrate, le Nouveau-Mexique a produit plus d’1 Mb/j en août, soit un peu moins de 10% de la production américaine à cette période et, dans cet État comme dans de nombreux autres, Biden devra arbitrer entre des engagements de réduction de CO2 à long terme et l’urgence économique. Si des contraintes croissantes sont attendues sur l’octroi de nouvelles concessions pétrolières et gazières comme sur les infrastructures énergétiques, ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre (et notamment de méthane), un fort pragmatisme politique devrait ainsi accompagner les décisions de la nouvelle administration. Lier étroitement la réalité politique des États-Unis au dynamisme de son secteur pétrolier et gazier serait d’ailleurs une erreur. La période républicaine de Trump fut certes très favorable aux industries extractives, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Durant les mandats du texan George W. Bush Jr (2001-2009) dont le père, rappelons-le, fonda la Zapata Petroleum Company en 1953, la production de brut aux États-Unis n’est-elle pas passée de 5,8 Mb/j à 5,14 Mb/j ? Malgré les positions pro-climat de Barack Obama, elle a, à l’inverse, progressé considérablement sous sa présidence, atteignant 8,87 Mb/j en janvier 2017.

On ne saurait garder les yeux rivés sur le seul destin américain d’un « roi pétrole » menacé par l’essor des renouvelables et dont la destitution est désormais jugée inéluctable, à tort probablement. Car si des tensions sont à attendre sur les marchés de l’énergie, le gaz naturel, terrestre et liquéfié (GNL), en sera l’objet principal. Avec Nordstream 2 en toile de fond, parier sur un « reset » entre l’Europe et les États-Unis serait, à ce titre, bien hasardeux, d’autant plus que les sanctions américaines ont été initiées sous la présidence d’Obama et qu’un « rafraîchissement » des relations entre Moscou et Washington demeure largement probable. En crispation politique avec l’Australie, la Chine pourrait, elle, en profiter pour accroître durablement ses importations de GNL américain, à l’image de l’accord signé le 6 novembre entre Chenière et Foran Energy Group. Un infléchissement de la position américaine envers Pékin apparaît certes fort peu probable à court terme, mais les bénéfices mutuels d’un développement des échanges gaziers entre les deux pays pourrait néanmoins offrir les premières bases d’un retour à des relations commerciales sans complaisance mais constructives. Sans réelle politique gazière, l’Europe qui, peut-être, espère trop de la présidence Biden, en paierait alors le prix.

Ephémérides

28/9

• Un million de décès « officiels » dus au Covid dans le monde
• « Golden Week » en Chine : 637 millions de voyages contre 782 millions en 2019
• La Nouvelle-Calédonie vote à 53 % contre l’indépendance

5/10

• Euronext achète la Borsa Italiana
• Abandon des négociations sur un nouveau plan de relance aux États-Unis
• Mise en place de taxes à l’importation par les États-Unis sur l’aluminium
de 18 pays (Allemagne, Barhain…)
• Report à avril du lancement du prochain James Bond « No time to die »

12/10

• Deuxième vague du Covid en Europe
• Échec des négociations à l’OCDE sur une taxe numérique mondiale
• Feu vert de l’OMC pour $ 4 milliards de taxes en faveur de l’Europe sur
le contentieux Boeing
• Menace de défaut de la Zambie
• Blocage des négociations autour du Brexit

19/10

• Croissance chinoise au troisième trimestre de + 4,9 %
• Accord à Bruxelles sur la réforme de la PAC
• Le cuivre à plus de $ 7 000 la tonne
• Rumeurs de « double dip »

26/10

• Confinement en France et dans plusieurs pays européens
• Plénum du Parti communiste chinois préparant le XIVe Plan
• Confirmation par le Sénat américain de la nomination d’Amy Coney Barrett
à la Cour suprême
• Blocage américain pour la nomination de la directrice générale de l’OMC
• Croissance au troisième trimestre de 12,7 % dans la zone euro
• Tension entre la France et la Turquie à propos de l’islamisme
• Accord de libre-échange Royaume-Uni/Japon

2/11

• Reconfinement au Royaume-Uni

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