Que retenir de cette année 2023 sur le marché des matières premières : dans l’ensemble, un tassement général des prix après les fortes tensions de 2022. Pour nombre de produits qui avaient été les vedettes de l’année précédente, le retour sur terre a été violent à l’image des métaux « électriques » (lithium, cobalt, nickel), du gaz et de l’électricité en Europe, du fret maritime (le retournement le plus spectaculaire pour les conteneurs), du blé… Les seuls produits pour lesquels 2023 aura été un bon millésime (en termes de prix) se retrouvent sur la table du petit déjeuner : le cacao, le sucre, le jus d’orange, le riz, ceci pour des raisons parfois politiques. L’année pourtant a été chargée de tensions géopolitiques, de l’Ukraine à Taiwan, d’une spectaculaire augmentation des taux d’intérêt par les banques centrales occidentales, d’un ralentissement économique (autour de 3 % de croissance mondiale) moins marqué aux États-Unis, mais inquiétant en Chine. Et de ce point de vue, 2024 ne s’annonce guère plus favorable.

Un impact limité des tensions géopolitiques
La plupart des tensions accumulées par le déclenchement de la guerre en Ukraine ont presque disparu dans le courant de 2023. Ainsi l’Europe est parvenue à se passer du gaz russe (mais pas de son GNL). À l’abord de l’hiver 2023/2024, les stocks sont pleins sans que les prix soient revenus à leurs niveaux vertigineux de l’automne 2022. L’Europe a en fait changé de dépendance, plus sensible maintenant, sur le marché mondial du GNL, aux grèves en Australie, aux projets américains ou aux exportations de l’Égypte. Dans sa chute, le gaz a entraîné le marché de l’électricité en Europe. Quant au pétrole, il est largement resté en dessous de la barre des $ 100 le baril, tiré vers le bas par le « dumping » du pétrole russe qui a fait les délices des raffineurs indiens et chinois. Même l’Arabie saoudite, avec une baisse spectaculaire de sa production n’est pas parvenue à relancer le marché qui termine l’année autour de $ 80, sa moyenne de 2023 (et la prévision de CyclOpe…). L’autre sujet de tensions autour du conflit ukrainien était bien sûr agricole avec la flambée des prix du blé. Là aussi, le retournement a été spectaculaire avec une division par près de la moitié des prix mondiaux (en Europe de plus de € 400 la tonne à € 220). Même la décision russe de fermer le corridor céréalier de la mer Noire négocié par les Nations unies n’a pas fait réagir un marché bien approvisionné. La chute est identique pour le maïs dont pourtant l’Ukraine est un important exportateur. Les exportations agricoles ukrainiennes ont en fait provoqué plus de problèmes en Europe…
Le conflit israélo-palestinien n’a eu que peu de conséquences directes sur les marchés si ce n’est en ce qui concerne le gaz naturel (Israël en fournit à l’Égypte qui exporte du GNL) et bien sûr, l’or qui frétille au moindre bruit de bottes (autour de $ 2 000 l’once). Son impact sur le marché du pétrole devrait rester limité : même si les États-Unis aggravent leurs sanctions vis-à-vis de l’Iran, ceci sera en partie compensé par la levée de l’embargo qui visait le pétrole vénézuélien (sans que le régime Maduro ne se soit vraiment amendé…).
L’instabilité africaine n’a eu elle aussi que peu d’impact. Le coup d’État au Niger a aggravé les tensions sur le marché de l’uranium qui reste beaucoup plus dépendant du Kazakhstan… et de ses relations avec la Russie.
Du côté de la Chine, on a connu des hauts et des bas : normalisation commerciale avec l’Australie (et donc élimination des taxes qui touchaient l’orge, le vin, le charbon…), mais en même temps, tensions avec les États-Unis et l’Europe et mise en place de quotas à l’exportation pour le gallium, le germanium et le graphite (utilisé pour ce dernier dans les batteries pour véhicules électriques). Sur les marchés, la Chine utilise finement son pouvoir tant d’exportateur (métaux critiques) que d’importateur (produits agricoles en particulier) et elle en est souvent le facteur le plus aléatoire.
L’Inde a eu aussi quelque impact sur les marchés, mais cette fois-ci pour des raisons de politique intérieure. La proximité des élections de 2024 a poussé le gouvernement à surveiller les prix agricoles et alimentaires : il en a résulté un embargo sur le riz non-basmati (et une augmentation de 50 % des prix mondiaux), des limitations fortes des exportations de sucre et de blé.
Ainsi, et de manière peut-être quelque peu paradoxale, les tensions géopolitiques qui ont tant marqué 2023 n’ont pas suffi à compenser l’impact du ralentissement économique mondial sur la demande de matières premières.

Un environnement économique peu favorable
En 2023, le monde a connu une croissance économique probablement un peu inférieure à 3 %. Si les États-Unis ont créé une surprise positive grâce en particulier à la mise en œuvre rapide de l’IRA (et aussi à un déficit budgétaire de 7,5 %), l’Europe a été à la peine avec dix pays membres de l’UE s’affichant en négatif à commencer bien sûr par l’Allemagne. Parmi les pays émergents, l’Inde et l’Indonésie ont eu quelques satisfactions, mais par contre un nuage sombre a marqué l’horizon chinois : la sortie du zéro-covid n’a pas apporté le rebond espéré, la crise immobilière s’est aggravée, l’investissement a stagné et la croissance « officielle » de 5 % ne peut masquer la réalité de la stagnation d’une Chine manifestement au bout de son modèle économique. La saturation de la demande chinoise a marqué la plupart des marchés des matières premières industrielles, du minerai de fer au coton sans oublier la quasi-totalité des métaux « électriques ». Ce n’est pourtant pas faute qu’en Europe et aux États-Unis, on ne se soit préoccupé de souveraineté en matière d’approvisionnement pour tous les métaux critiques de la transition énergétique. Mais si toutes les prévisions s’accordent sur des situations de déficits à compter de 2026 ou 2027, force est de constater que 2023 a été marquée par des excédents qu’il s’agisse des grands métaux non ferreux (cuivre, nickel…) ou des composants des batteries comme le lithium ou le cobalt. La chute de prix la plus impressionnante a été celle du lithium (– 70 %) suivi par le nickel (– 50 %), celle du cuivre restant la plus mesurée. Les espérances mises dans la transition énergétique sont manifestement plus longues à se réaliser qu’on ne le prévoyait.

Un repli quasi général des prix mondiaux
Après les sommets de 2022, 2023 aura donc été une année de repli des prix mondiaux, ce qui a facilité la détente sur le front de l’inflation.
Dans le domaine de l’énergie, la chute la plus forte a été celle du gaz naturel qui aux extrêmes, d’un automne à l’autre, s’est effondré de près de 90 % sur le marché spot que ce soit pour le GNL ou pour le gaz en Europe (le TTF). En Europe, les prix de l’électricité ont suivi. Très fortement chahuté, le marché du charbon s’est lui aussi nettement replié. Quant au pétrole, il a évolué au gré des décisions des producteurs et des pérégrinations du pétrole russe entre $ 75 et $ 95 le baril.
Comme on l’a déjà souligné, la plupart des métaux, petits et grands, ont souffert en 2023, à l’image d’ailleurs de toutes les matières premières industrielles affectées par la baisse de la consommation des ménages : ceci s’est ressenti par exemple dans le domaine des textiles sur la demande de coton.
Sur les marchés agricoles, après une année 2022/2023 presque exemplaire du point de vue climatique (et des records de production de la Russie à l’Australie), un nouvel épisode « El Niño » est venu rebattre les cartes en particulier en Asie et en Amérique latine. L’image est plus contrastée entre de fortes baisses des prix pour céréales et oléagineux (à l’exception du riz) et la poursuite de hausses pour le sucre et le cacao.
Enfin, le retournement le plus spectaculaire en 2023 a été celui des taux de fret maritime pour les conteneurs : la baisse par rapport aux sommets atteints début 2022 est de l’ordre de 80 % sur fond de diminution des flux mondiaux de marchandises.

Quelles perspectives pour 2024
Les inconnues pesant sur les marchés en 2024 sont nombreuses. On ne peut exclure, même si ce n’est pas le scénario le plus probable qu’au Moyen-Orient, on cède à la tentation d’utiliser l’arme du pétrole face à Israël (ce scénario du pire culminerait d’après la Banque mondiale à $ 157 le baril). Il semble par contre qu’une certaine accalmie soit à l’ordre du jour dans les relations entre la Chine et les États-Unis. Mais l’inconnue des élections américaines demeure entière tout comme l’éventualité de cette catastrophe pour les relations internationales que pourrait être le retour de Donald Trump.
Du point de vue économique, les pays avancés continueront à souffrir de la hausse historique des taux d’intérêt, mais l’inconnue majeure restera la Chine dont le ralentissement de la croissance devrait se poursuivre (4 %).
Dans ce contexte, en raisonnant à situation géopolitique, sanitaire et climatique sans changement majeur, l’ajustement des marchés devrait se poursuivre sans que l’on soit certain que les niveaux atteints à la fin de 2023 soient des planchers. Le pétrole demeurerait en moyenne autour de $ 80 le baril, le blé rebondirait légèrement grâce aux achats chinois et parmi les métaux le cuivre peut-être (mais plutôt en 2025) entamerait une hausse qui promet d’être inquiétante. Mais chaque marché possède sa propre histoire faite de chocs climatiques, de coups militaires, de corruption et d’instabilité. La seule malheureuse constante reste la « malédiction » des matières premières qui affecte les pays producteurs. « Tempus nominem manet » (le temps n’attend personne).

Ephémérides économiques

6/11

• Bruxelles ouvre la porte à l’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE
• Le Brent à $ 80 le baril
• Accord en Espagne entre Pedro Sanchez et les séparatistes catalans
• « La femme à la montre » de Picasso : $ 139 millions à New York
• Crise politique au Portugal

13/11

• Sommet de l’APEC à San Francisco ; rencontre Biden/Xi
• Accord sur le prix de l’électricité nucléaire en France (€ 70 le MWh)
• Le cacao à plus de $ 4 000 la tonne à New York
• Le glyphosate autorisé pour dix ans dans l’UE
• Javier Milei élu président en Argentine
• Crise chez Open AI

20/11

• 60 ans de l’assassinat de JF Kennedy
• Accord partiel sur les otages à Gaza
• Victoire des populistes aux Pays-Bas
• Échec sur la négociation de la dette en Zambie
• Sanction de $ 4 milliards pour Binance, leader du marché des cryptomonnaies

27/11

• Ouverture de la COP28 à Dubaï
• Crise budgétaire en Allemagne
• L’or à $ 2 000 l’once
• Faillite du promoteur allemand Signa
• Riad choisie pour l’Exposition universelle de 2030
• Réduction des quotas OPEP+
• Mort d’Henry Kissinger à 100 ans