Par Philippe Chalmin
Les vacances du Nouvel an chinois n’ont pas interrompu le rebond des marchés de matières premières et de commodités. Au contraire, celui-ci s’est encore amplifié apportant de l’eau au moulin des tenants de l’idée qu’un « supercycle » est à l’œuvre. Les métaux sont allés de record en record, $ 9 500 la tonne pour le cuivre, $ 30 000 pour l’étain, $ 20 000 pour le nickel (avant de retomber à un peu plus de $ 15 000…), mais aussi de fortes tensions sur l’acier notamment aux États-Unis, le minerai de fer en léger repli, mais restant à des niveaux historiquement élevés. À cette liste, on peut ajouter le réveil du lithium et du cobalt, des tensions sur les platinoïdes. L’agitation sur le marché de l’argent n’a par contre guère duré et l’or – inversement corrélé à la vaccination (!) – est revenu au-dessous de $ 1 700 l’once. Sur les marchés agricoles, l’appétit chinois n’est pas encore satisfait, semble-t-il, et les perspectives de stocks de fins de campagne sont de plus en plus médiocres : résultat, les prix des grains sont au plus haut tant à Chicago qu’en Europe ou sur la mer Noire ; $ 14 le boisseau pour la graine de soja, $ 6,50 pour le blé, $ 5,50 pour le maïs et plus de 500 euros la tonne pour la graine de colza en Europe ! Même le sucre a profité de cette embellie à plus de 16 cents la livre tandis qu’aux États-Unis le bois d’œuvre pour la construction dépassait les $ 1 000 mille pieds-planche. Enfin, en ce qui concerne l’énergie, certes la bulle du gaz naturel liquéfié en Asie a éclaté et les cours sont revenus un peu partout à des niveaux plus « raisonnables ». Mais le charbon a fait un bond impressionnant. Enfin, le pétrole flirtait début mars avec la barre des $ 70 pour le baril de Brent, grâce, il est vrai, au maintien des efforts des producteurs et au premier chef l’Arabie saoudite. Ajoutons à cette ambiance les tensions sur le fret maritime au moins en ce qui concerne les conteneurs et donc toutes les marchandises utilisant ce mode de transport (et donc nombre de matières premières) et puis les goulets d’étranglement rencontrés dans l’approvisionnement de produits comme les semi-conducteurs ou de certains plastiques comme le polyéthylène. Tout ceci a suffi pour attirer les investisseurs en panne de sensation et qui pouvaient légitimement se méfier des folies du bitcoin il est vrai que début 2021 le ratio entre le prix des matières premières et celui des actions n’avait pratiquement jamais été aussi défavorable, au moins en ce qui concerne les marchés américains. C’est ainsi que sur de très nombreux marchés de « futures », en particulier pour les métaux et les grains, se sont constituées des positions longues, souvent même excessives par rapport à la réalité des fondamentaux. Les marchés chinois dont l’influence est de plus en plus forte sur la scène internationale, mais dont on sait le caractère très spéculatif ont amplifié cette tendance en ce qui concerne au moins les métaux.
Ces tensions ont une explication assez logique : la reprise de la demande s’est faite plus vite que le retour à la normale des capacités des productions n’a été possible ; cette asymétrie a effectivement provoqué des ruptures d’approvisionnement. En réalité, la reprise chinoise est intervenue dès le début de l’été 2020, ce que l’on retrouve dans le rebond des importations de minerais et métaux, de produits agricoles et dans une moindre mesure d’énergie. La reprise américaine a suivi avec quelques mois de retard et seule l’Europe souffre encore d’un net décalage. Mais encore une fois, ce sont les besoins chinois qui ont été l’étincelle à l’origine de la hausse des coûts à la fin de 2020. Celle-ci a été d’autant plus forte que la fermeté de la demande a pris de surprise des marchés encore marqués par la pandémie : les moindres incidents de production ont pris des proportions nouvelles. Ajoutons à cela les caprices de la météo avec un hiver vigoureux de l’Asie du Nord au Texas, les prémisses d’un épisode climatique de La Niña et puis des tensions géopolitiques en particulier entre la Chine et l’Australie. On a là à peu près tous les ingrédients d’un épisode violent – mais bref – comme on en connut souvent au lendemain de crises économiques ou d’accidents géopolitiques majeurs. Ceci étant, sauf nouveau rebond de la pandémie, sauf conflit ouvert entre les principales puissances de la planète, sauf enfin accident climatique majeur, la plupart de ces tensions devraient retomber.
Tel n’est pas l’avis d’un certain nombre d’analystes issus des plus prestigieuses maisons de Wall Street, Goldman Sachs et JP Morgan : pour eux, les signes de ces premières semaines de 2021 sont bien la preuve qu’un nouveau « supercycle » sur les marchés de commodités est à l’œuvre. Par supercycle, ils font référence au choc que connurent les marchés entre 2007 et 2014. L’expression en elle-même n’a guère de sens si ce n’est d’attirer le chaland, c’est-à-dire l’investisseur ! Selon eux donc, les marchés devraient connaître une période durable de tensions jusqu’en 2025 et peut-être même au-delà. Leur argument principal est celui des nouvelles orientations données aux principaux plans de relance dans le sens d’un verdissement des économies et notamment de la transition énergétique. Ils estiment – avec raison d’ailleurs – que ceci se traduira par une demande accrue dans le domaine des métaux, mais extrapolent au-delà à l’ensemble des commodités.
La réalité est à notre sens tout autre. Il existe bien en effet un cycle sur les marchés de matières premières identifié par de nombreux auteurs de Paul Bairoch à D. S. Jacks (dans la publication la plus récente sur le sujet en 2019) et à l’auteur de ces lignes, il y a déjà une vingtaine d’années. Sur la période contemporaine, il y a bien eu quatre chocs majeurs sur les marchés : 1921, 1951, 1974 et 2010 pour noter les années les plus violentes. En réalité, ces chocs ont en général duré entre trois et huit ans, suffisamment longs pour induire un mouvement d’investissement dans de nouvelles capacités de production débouchant quelques années plus tard sur des marchés excédentaires et en général deux bonnes décennies de prix déprimés. C’est ce que l’on connut dans les années vingt et trente, les années cinquante et soixante, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix et donc depuis 2014. Il devrait en être de même pour les années vingt de ce XXIe siècle. Au-delà en effet des passions spéculatives, la logique des fondamentaux plaide pour des marchés plutôt excédentaires. Ceci bien sûr n’est pas contradictoire avec des tensions liées à de nouvelles utilisations de certains produits liés en particulier aux nouvelles technologies. Et encore là faut-il savoir raison garder comme l’ont montré ces dernières années les exemples du cobalt et du lithium et ces derniers jours pour le nickel.
Cette polémique a au moins un avantage : celui de placer un peu plus d’attention sur les marchés de matières premières et de commodités, sur leur volatilité, sur la dépendance qui est celle des producteurs tout comme des consommateurs dans un monde marqué au coin de l’instable. Les aspirations légitimes de nos sociétés à un monde plus respectueux de l’environnement sont une contrainte supplémentaire pour des systèmes de productions et d’échanges soumis aux moindres aléas géopolitiques et climatiques. Supercycle ou pas, nous n’en avons pas fini de scruter courbes et graphiques !
Ephémérides
1/2
• Coup d’État en Birmanie
• Mario Draghi, président du Conseil en Italie
• Confirmation de l’élection de Ngozi Okonjo-Iwaela à la direction générale de l’OMC
• Affaire Gamestop sur les marchés boursiers
8/2
• Le baril de Brent au-dessus de $ 60
• Flambée du bitcoin et… de Tesla
• Hausse des taux longs aux États-Unis
• Nouvel an chinois : année du buffle d’acier
15/2
• Vague de froid au Texas et chaos électrique
• Croissance du Japon en 2020 : – 4,8 %
• La tonne du nickel à plus de $ 1 800
22/2
• La tonne de cuivre au-dessus de $ 9 000, celle d’étain à $ 30 0000
• Crise des vaccins en Europe
1/3
• Réunion de l’Assemblée nationale chinoise et adoption du 14e Plan : objectif officiel de croissance en 2021 à 6 %
• Jack Ma n’est plus l’homme le plus riche de Chine !
• L’OPEP+ et l’Arabie saoudite ne modifient pas leurs quotas de production
• Scandale Greensill-Gupta (Royaume-Uni)
• Le pape François « pèlerin de la paix » en Irak
• Accord du Sénat sur le plan de relance de Biden