Pendant toutes les longues semaines du printemps et de l’été 2020, une petite flamme d’optimisme brûlait encore. Le Covid allait finir par s’estomper et les beaux jours tant sanitaires qu’économiques reviendraient avec l’automne. Las, il n’en est rien et sans parler encore de « sanglots longs », force est de constater que, partout dans le monde, à l’hypothétique exception de la Chine, la page du Covid n’est pas tournée, loin de là. Le nombre de cas « positifs » ne cesse d’augmenter (plus de 6 millions aux États-Unis, de 4 millions en Inde) tout comme dans une bien moindre mesure celui des décès. Sans que l’on revienne aux mesures extrêmes du confinement, la plupart des pays durcissent leurs dispositifs, de précaution, de distanciations, de quarantaines… La deuxième phase du Covid n’est certes pas confirmée, mais la peur est là, alimentant une véritable psychose qui pèse sur les décisions politiques. Certes, le pire du point de vue économique est probablement derrière nous et les chiffres de croissance du troisième trimestre devraient être positifs, mais la menace demeure rendant bien aléatoires tous les exercices de prévision. Et pourtant, la terre continue de tourner avec son lot habituel de tensions et de conflits dont les marchés mondiaux sont comme à l’habitude le révélateur.

Détours géopolitiques
Qu’ont en commun le gaz naturel, la viande porcine et l’orge ? Chacun de ces produits illustre un point de tension des relations internationales. Pour le gaz naturel, c’est bien sûr la question de l’achèvement du gazoduc Nord Stream II qui est en cause. L’Allemagne qui a soutenu le projet – auquel il ne manque que quelques dizaines de kilomètres – serait prête à le remettre en cause à la suite du très probable empoisonnement dont a été victime l’opposant au Kremlin, Alexei Navalny. Celui-ci est soigné à Berlin et les médecins allemands sont formels quant à la nature du poison utilisé. Choquée, Angela Merkel n’exclut plus de retirer son appui à Nord Stream II déjà en panne du fait de l’embargo américain. À ce dossier du gaz, on pourrait ajouter les tensions en Méditerranée entre la Turquie, la Grèce, Chypre et le reste de l’Europe autour des ressources gazières du sous-sol marin. En ce qui concerne la viande porcine, il s’agit de l’autorisation que le gouvernement de Taïwan s’apprête à donner à la viande américaine jusque-là bloquée du fait de l’utilisation de ractopamine. Mais Taïwan veut signer un accord de libre-échange avec les États-Unis, et ce d’autant plus qu’après Hong Kong, Taïwan est le prochain objectif du tableau de chasse de Xi Jinping. Mais voilà, le parti d’opposition à Taïwan, le Kuomintang, proche de Pékin malgré ses antécédents historiques, veut lancer un referendum pour garantir la « sécurité alimentaire » du pays. Rappelons que les importations de viande porcine jouent par ailleurs un rôle important dans la diplomatie économique de Pékin. Quant à l’orge, c’est plus banal : la Chine a mis en place des droits de douane à 80 % sur l’orge australienne afin de punir le pays d’avoir pris des positions critiques sur la Chine à propos du Covid. Mais, il n’y a pas que l’orge : le vin australien est lui aussi menacé, mais on ne touche pas pour l’instant au minerai de fer…
La Chine, la Russie… Il est vrai que l’époque est marquée par la survivance de dictatures d’un autre âge du Belarus au Venezuela, par le durcissement de régimes issus malgré tout des urnes (Inde, Turquie), par les candidatures de présidents à leurs propres successions (Guinée, Côte d’Ivoire) et puis pour faire bonne mesure par des coups d’État militaires (Mali). À cette aune, l’élection américaine – que The Economist qualifie pourtant de « ugly election » en serait presque exemplaire.
À moins de deux mois des élections présidentielles, Joe Biden, dont le ticket est complété par la sénatrice de Californie Kamala Harris, d’origine indo-jamaïcaine, tient toujours la corde, mais dans la dernière ligne droite, Donald Trump promet d’être redoutable et utilise toutes ses cartes à l’international de l’Iran à la Russie ou au Venezuela. Sur le dossier chinois plane une certaine ambiguïté : les États-Unis condamnent l’état de fait à Hong Kong, menacent de ne plus importer d’articles en coton du Xinjiang en réaction à la politique répressive de Pékin vis-à-vis des Ouïghours, mais au même moment la Chine augmente ses importations de maïs, de soja, de pétrole et de gaz américain !
En Europe enfin, après l’euphorie de l’accord historique de Bruxelles et des € 750 milliards de plans de relance, c’est le retour sur terre avec le dossier du Brexit dont l’échéance du 15 octobre paraît désormais presque insurmontable, d’autant plus que la stratégie de Boris Johnson a de quoi laisser perplexe. Et Madame von der Leyen a dû gérer en urgence le « golfgate » irlandais, le départ de l’expérimenté Phil Hogan et son remplacement comme commissaire au Commerce international par le Letton, Valdis Dombrovskis, dont l’expérience en ce domaine est limitée.
Enfin, alors que l’Argentine parvenait à renégocier une partie au moins de sa dette souveraine, l’autre grand failli, le Liban, se trouve plongé dans une crise humanitaire, politique et économique la plus profonde qu’il ait connue de sa courte histoire indépendante.

Rebond : y es-tu ?
Au fil de l’été, les chiffres de « croissance » du deuxième trimestre 2020 sont tombés, catastrophiques comme on pouvait s’y attendre : calculés en rythme annuel par rapport au trimestre précédent, ils sont éloquents : – 59,8 % pour le Royaume-Uni, – 55,8 % pour l’Espagne – 72 % même pour le Pérou ! Et puis aussi – 31,7 % pour les États-Unis, – 40,3 % pour la zone euro (– 44,8 % pour la France, – 33,5 % pour l’Allemagne) – 27,8 % pour le Japon. L’Australie (– 25,2 %) est entrée en récession pour la première fois depuis vingt-huit ans. Le commerce mondial s’est contracté de 27 % au deuxième trimestre d’après la CNUCED.
Rien de bien surprenant, mais dès le mois de juin, quelques indications positives en provenance des enquêtes de conjoncture laissaient augurer d’un troisième trimestre presque brillant. Certains instituts commencent à réviser leurs prévisions les plus pessimistes faites il y a quelques semaines. La banque Wells Fargo anticipe ainsi un rebond de 25 % du PIB américain au troisième trimestre. Bien sûr, il reste la menace sanitaire et puis quand même des secteurs entiers qui, à l’image de l’aéronautique, ne sont pas près de se relever. Les gouvernements en ont pris conscience qui, après avoir arrosé à tout vent, cherchent désormais à mieux cibler leurs plans de relance même si la menace du chômage de masse demeure prégnante un peu partout alors que vont monter les faillites d’entreprises.
Il est d’ailleurs venu de Jackson Hole une véritable petite révolution. Lors de cette traditionnelle réunion de banquiers centraux, le président de la Fed a déclaré que désormais le principal objectif de la politique monétaire américaine serait la croissance économique et la résorption du chômage et non plus la lutte contre l’inflation qui était le mantra de la Fed – et donc des autres banques centrales – depuis le règne de Paul Volcker. Ceci a immédiatement pesé sur le dollar dont le recul a été marqué par rapport aux grandes devises comme l’euro, ce qui explique en partie le rebond des marchés des matières premières. À court terme, cependant, le recul du dollar restera limité d’autant plus que nombre de monnaies de pays émergents se sont affaiblies dans le sillage du Covid. Et en ces temps de taux négatifs, à quoi bon avoir un euro fort ?
L’autre surprise est venue des marchés boursiers qui ont battu leurs records historiques y compris au plan mondial ! Les marchés ont acheté la reprise avec – il est vrai – un grain de folie « technologique » dont une partie au moins a pu être orchestrée par les Japonais de la Softbank qui jouent de plus en plus au poker… menteur. Tout ceci a des parfums de bulle, mais par les temps qui courent il faut bien trouver des actifs où placer ses économies… Cela a été bien sûr le cas de l’or.

Ephémérides

3/08

• Explosion à Beyrouth et crise politique au Liban
• Accord sur la dette argentine
• L’or à plus de $ 2 000 l’once
• Forte chute de la livre turque
• Prolongation par Donald Trump des principales mesures de relance aux États-Unis

10/08

• Les États-Unis mettent fin au régime préférentiel de Hong Kong• Réélection de Loukachenko en Biélorussie et début d’une violente contestation
• BNP Paribas décide d’arrêter le financement du négoce de commodités
• Joe Biden choisit Kamala Harris pour la vice-présidence sur le ticket démocrate
• Accord de reconnaissance entre Israël et les Émirats arabes unis
• Tensions entre la Grèce, la Turquie et Chypre sur l’exploration gazière

17/08

• Le minerai de fer au plus haut depuis six ans
• Coup d’État au Mali, troisième producteur d’or africain
• Record historique du SP500
• Apple à plus de $ 2 000 milliards de capitalisation
• Plainte antidumping de la Chine sur le vin australien

24/08

• Ouragan Laura sur le Texas
• « Golfgate » et démission de Phil Hogan, le commissaire européen du commerce international

31/08

• Départ de Roberto Azevedo de la direction de l’OMC
• Record historique des bourses mondiales