L’or et le fer
Quel symbolique retour aux temps barbares lorsqu’avec des armes de fer, les hommes se battaient pour le
« fabuleux métal » ! Au XXIe siècle, tout ceci devrait être oublié, la « relique barbare » tout comme le symbole de la première révolution industrielle. Au temps de la puce et du gène, qui aurait imaginé le retour en grâce de l’or et du fer ? Et pourtant, ce sont là les deux produits dont les marchés ont défrayé la chronique de cet été 2020 : l’or bien sûr, qui pour la première fois a franchi le seuil des $ 2 000 l’once (en entraînant d’ailleurs dans son sillage l’argent qui profita un peu aussi des révolutions technologiques). L’or profite bien sûr du climat monétaire et de taux d’intérêt négatifs qui ont incité nombre d’investisseurs (et d’ETF) à le préférer à la gamme des Bons du Trésor. À fin juillet, les ETF possédaient 3 785 tonnes d’or, ce qui représentait un montant de $ 239 milliards. Il reste aussi un indicateur de l’anxiété des marchés financiers face au « grand désordre du monde ».
Le cas du fer est plus surprenant : il est abondant malgré quelques problèmes au Brésil et en Australie (où Rio Tinto a déclenché un scandale en détruisant un sanctuaire aborigène pour étendre une de ses mines à ciel ouvert, ce qui a coûté son poste au CEO, le Français Jean-Sébastien Jacques). En juillet, la production d’acier au niveau mondial était encore en baisse de 2,5 %. mais en Chine, avec 94,4 mt sur les 152,7 mt du monde, elle était en hausse de 9 %. L’importance de la demande chinoise a provoqué une véritable flambée des cours, au-delà de $ 125 la tonne, au plus haut depuis six ans.
Oui, l’or et le fer ont été les « stars » paradoxales de cet été bien morose. Pour la petite histoire, on pourrait rajouter le bois de construction (lumber) aux États-Unis, dont les prix ont plus que doublé depuis le début de l’année à la suite de la baisse de la production du fait de la pandémie alors que reprenait l’activité de construction. Pendant ce temps, les marchés de l’énergie pansaient leurs plaies.

Énergies en demi-teinte
Le baril de pétrole a traversé l’été autour de $ 40, un peu au-dessus pour le Brent et un peu en dessous pour le WTI. Au fil des jours, l’optimisme qui prévalait après la mise en place des mesures de limitation de production de l’OPEP+ s’est estompé et sur les marchés à terme les « bulls » se sont faits moins nombreux. C’est qu’avec la poursuite de la pandémie, la consommation mondiale tarde à reprendre : sur 2020, elle sera en moyenne en recul de 8 à 9 mbj, peut-être même un peu plus. Depuis le 1er août, l’OPEP+ s’est imposé une diminution de quotas de 7,7 mbj. À cela, il faut ajouter une diminution de la production américaine estimée par l’EIA pour 2020 aux alentours du million de barils/jour (870 000 b/j pour les dernières estimations). Enfin, « grâce » aux sanctions américaines devenues de plus en plus contraignantes, le Venezuela et l’Iran ont pratiquement disparu du marché : en juillet, le Venezuela n’a exporté que 388 000 bj (dont un tiers vers l’Inde). Et les ventes de produits pétroliers de l’Iran au Venezuela qui avaient fait grand bruit sont désormais pratiquement impossibles, aucun armateur – même chinois – ne voulant prendre le risque des sanctions américaines. Du côté de la demande, c’est la Chine qui continue à mener le bal : ceci étant, les chiffres des derniers mois (12,94 mbj d’importations en juin, 12,08 en juillet, 12,11 en août) sont quelque peu trompeurs. Les raffineurs chinois ont manifestement profité des « soldes de printemps » en particulier sur le marché américain et il faut s’attendre à l’automne à un retour à la normale autour de 10 mbj.
Au total donc, l’humeur pétrolière s’est quelque peu assombrie sur un marché qui pourrait même redevenir excédentaire et cela d’autant plus que les marges de manœuvre budgétaires de nombre de pays producteurs sont faibles, voire inexistantes : l’Aramco saoudienne a vu ses résultats diminuer de 73 % au deuxième trimestre ! Les prix actuels reflètent bien cet équilibre précaire et le baril pourrait en fin d’année être plus proche de $ 30 que de $ 40.
Paradoxalement, la reprise la plus spectaculaire a été celle du gaz naturel même si les prix demeurent à des niveaux historiquement déprimés. Mais quand même : le GNL en Asie, qui fait office de référence mondiale est passé de $ 1,85 le mbtu en mai à $ 4,50 début septembre. Aux États-Unis, le « Henry Hub » a pris un dollar de $ 1,4 le mbtu en juin à $ 2,37. Et en Europe, la hausse est toute aussi forte de $ 1 à $ 2,7 le mbtu. Ceci étant, il faut tenir compte de la réalité des coûts de production : $ 2 pour du GNL sur la côte ouest de l’Australie, mais $ 3,50 sur la côte est, là où se trouvent les principaux gisements. Quant au gaz américain, si l’on ajoute au Henry Hub le coût de la chaîne de liquéfaction de l’ordre de $ 3 au moins, on arrive entre $ 5 et $ 6 ce qui disqualifie le GNL américain tant en Europe qu’en Asie. Partant donc d’un plancher à peu près insoutenable, les prix ont donc rebondi grâce là aussi à la demande chinoise (+ 12 % en août). Au niveau mondial, la consommation de gaz ne devrait diminuer en 2020 que de 4 % (de 4,2 % pour le GNL) d’après l’International Gas Union. Mais les projets restent nombreux même si aux États-Unis on parle plutôt d’annulation de trains de liquéfaction. En tout état de cause, le gaz naturel reste la grande énergie de l’avenir et son marché est désormais mondial. À Singapour, on compte plus d’une cinquantaine d’opérateurs disposant de « desk » de trading sur le GNL.
Le contraste est bien sûr total avec le charbon dont le prix a continué de décrocher à moins de $ 50 la tonne pour le charbon australien. La principale raison en est la baisse de la demande asiatique, notamment de l’Inde du fait du Covid. Et pour la première fois depuis longtemps, le charbon à coke vaut moins cher que le minerai de fer. On comprend mieux l’enthousiasme des grands mineurs, à l’image de BHP, à se débarrasser de leurs activités charbonnières pour laver « plus blanc » !

Le rebond des métaux
Le cuivre à plus de $ 6 500 la tonne, le zinc à plus de $ 2 500 et le nickel au-dessus de $ 15 000, la plupart des métaux non ferreux ont retrouvé leurs niveaux pré-covid. Les marchés ont joué le rebond de l’activité chinoise dans un mouvement identique à celui du minerai de fer. Mais il faut y ajouter le poids des investisseurs en particulier en Chine. Pour le cuivre en 2020, le jeu a été aussi de profiter du différentiel entre Londres et Shanghaï. De tous les grands métaux non ferreux, l’aluminium reste par contre le plus mal loti à moins de $ 1 800 la tonne. Parmi les métaux « électriques », le cobalt et le lithium ont amorcé une légère reprise. Notons que pour répondre aux critiques et aux doutes qui entourent la production du cobalt au Congo (RDC), une Fair Cobalt Alliance s’est mise en place afin de mieux contrôler l’activité des mines artisanales qui, souvent encore, utilisent la main-d’œuvre des enfants. Même Glencore y a adhéré.
Malgré le rebond des prix du nickel et les perspectives offertes par la demande des véhicules électriques, Vale veut à tout prix se débarrasser de son usine de Goro en Nouvelle-Calédonie. Mais la situation politique et sociale sur le « caillou » a découragé nombre de candidats et le dossier reste ouvert au moins jusqu’au referendum du 4 octobre 2020.

Ephémérides

3/08

• Explosion à Beyrouth et crise politique au Liban
• Accord sur la dette argentine
• L’or à plus de $ 2 000 l’once
• Forte chute de la livre turque
• Prolongation par Donald Trump des principales mesures de relance aux États-Unis

10/08

• Les États-Unis mettent fin au régime préférentiel de Hong Kong• Réélection de Loukachenko en Biélorussie et début d’une violente contestation
• BNP Paribas décide d’arrêter le financement du négoce de commodités
• Joe Biden choisit Kamala Harris pour la vice-présidence sur le ticket démocrate
• Accord de reconnaissance entre Israël et les Émirats arabes unis
• Tensions entre la Grèce, la Turquie et Chypre sur l’exploration gazière

17/08

• Le minerai de fer au plus haut depuis six ans
• Coup d’État au Mali, troisième producteur d’or africain
• Record historique du SP500
• Apple à plus de $ 2 000 milliards de capitalisation
• Plainte antidumping de la Chine sur le vin australien

24/08

• Ouragan Laura sur le Texas
• « Golfgate » et démission de Phil Hogan, le commissaire européen du commerce international

31/08

• Départ de Roberto Azevedo de la direction de l’OMC
• Record historique des bourses mondiales