Vers une stratégie européenne des matières premières ?
Par Yves Jégourel
L’Union européenne considèrerait-elle enfin les industries de matières premières dans toute leur dimension stratégique ? C’est ce que l’on est en droit d’espérer avec le lancement, fin septembre, de l’Alliance européenne pour les matières premières (European Raw Materials Alliance ou ERMA) par Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne et Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur. Gérée par l’Institut européen pour l’innovation et la technologie (EITRawMaterials), cette alliance vise à lutter contre la dépendance des industries européennes aux importations de métaux critiques et stratégiques, avec une priorité accordée au segment des terres rares puis aux métaux nécessaires à la transition environnementale et numérique, ainsi qu’aux industries de défense. Le champ d’action envisagé est donc réduit à quelques matières premières alors que toutes ont, convenons-en, une dimension géostratégique. Cette ambition n’est par ailleurs pas nouvelle, car l’Europe soutient depuis de nombreuses années déjà l’effort de recherche et de développement, public et privé, dans le domaine des métaux critiques. Les observateurs les plus sceptiques – ou les plus impatients – pourraient alors y voir une stratégie palimpseste où la nouveauté de ton ne peut faire oublier que l’Europe accuse un retard considérable dans la sécurisation de ses approvisionnements, qu’elle manque de pragmatisme et de cohérence et que, face à l’urgence, l’heure n’est plus aux « déclarations de politique générale », mais bien à la mise en œuvre d’actions concrètes et immédiates.
Il y a pourtant, dans cette alliance, bien plus qu’une réécriture à l’identique des ambitions passées. Si la promotion d’une économie circulaire « stratégique » fait partie des constantes de l’équation européenne, l’idée de renforcer désormais l’amont des chaînes de valeur, et donc les industries extractives, est un marqueur d’une ambition résolument volontariste. Ce positionnement stratégique, visant à coupler ressources primaires et secondaires en établissant une lecture fine des capacités de production aux différents niveaux des filières considérées, est assurément le bon. Il est en outre pertinent d’envisager la sécurisation des approvisionnements par des prises de participation dans des projets non européens dans la lignée, souhaitons-le, du projet de Compagnie des mines de France porté en 2014 par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif ou, plus encore, de la « Jogmec », institution japonaise créée en 2004 et visant à assurer le sourcing en matières premières du pays. La diversité des institutions impliquées dans cette alliance – entreprises, universités et organismes de recherche, associations – témoigne enfin d’une approche résolument œcuménique. La complexité des enjeux économiques, financiers, environnementaux et sociétaux associés aux activités d’extraction, de transformation et de recyclage des ressources minérales rend cette démarche incontournable, mais il faudra certainement beaucoup de finesse politique pour que naisse de cette diversité une vision cohérente et ambitieuse.
Du sens et du courage politiques, il en faudra également pour que, dans la polyphonie souvent dissonante des stratégies des pays membres, les voix de tête – celles occupant le seul champ médiatique – ne dominent pas et que les positions européennes, uniques et cohérentes, fassent écho aux politiques menées par les nations qui « font » les marchés mondiaux de matières premières, au premier rang desquelles la Chine. À ce titre, on pourrait presque regretter que l’objectif de cette alliance soit d’accroître la « résilience » des industries européennes, signalant alors qu’il s’agit avant tout de s’adapter aux chocs d’offre et de demande et non, stricto sensu, de les gérer. Le dessein est de toute évidence raisonnable et y parvenir serait déjà un succès, mais il tend à figer l’Union européenne dans une posture défensive, alors que l’importance des enjeux imposerait qu’elle s’affirme comme un acteur majeur dont l’ambition ultime n’est pas de s’adapter à des conditions de marché perçues comme exogènes, mais bien, dans une lecture diamétralement opposée, de les influencer. Si, d’ailleurs, l’Europe venait à trouver grâce à cette alliance une euphonie de tons et d’actes, il conviendrait qu’elle ne s’engage pas dans une logique de confrontation – elle n’en aurait pas les moyens – mais qu’elle utilise sa voix pour (re)placer les matières premières au cœur des grands enjeux du multilatéralisme. Répondant à la situation hégémonique de la Chine sur nombre de « petits métaux », le Département américain du commerce a précisé, en juin 2019, les contours d’une « stratégie fédérale pour assurer un approvisionnement sûr et fiable en minerais essentiels » dont un des volets est de stimuler le commerce international et les stratégies partenariales sur ces segments. Si l’administration Trump n’incite guère à l’optimisme dans ce domaine, c’est pourtant bien dans cette dynamique coopérative que l’Europe devrait s’engager en conciliant vision et pragmatisme. Il s’agirait alors d’appréhender les matières premières dans leur nexus – bien au-delà donc des seuls métaux critiques identifiés par la Commission européenne – et de les concevoir non comme un seul « intrant » industriel, mais pour ce qu’elles sont fondamentalement : une des clés de voûte de la stabilité mondiale, économique et politique. Dans ce domaine, « la sécurisation » des flux d’importation ne peut être le seul objet de ces politiques coopératives. Il n’aura échappé à personne que la volatilité des cours des commodities a, depuis des décennies, voire des siècles, des conséquences macroéconomiques pouvant être particulièrement néfastes. Depuis l’échec des « accords de produits » portés par la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement, la stabilisation des marchés de matières premières relève, au mieux, d’une douce utopie. L’inefficacité progressive et le coût des stocks régulateurs ne signifient pourtant pas que des solutions nouvelles ne puissent être trouvées. À contresens de l’histoire, cette affirmation est aujourd’hui bien éloignée de la feuille de route européenne, mais gageons que l’ERMA, par sa diversité, puisse à terme lui donner corps dans le cadre d’une politique nécessairement incrémentaliste pour être efficace.
Un même talent politique sera nécessaire pour coordonner, au-delà des pays membres, des acteurs publics et privés positionnés aux multiples stades de la chaîne de valeur des métaux et dont les contraintes et les attentes économiques peuvent diverger. Dans la filière tungstène, un des métaux identifiés par la Commission européenne comme ayant un fort niveau de criticité, la vulnérabilité des pays membres ne se situe ainsi pas au stade de l’extraction, mais dans la faiblesse du commerce intraeuropéen de concentrés et dans l’insuffisante capacité de transformation en paratungstate d’ammonium. Il faudra un plus grand talent encore pour démontrer que les sources secondaires en métaux critiques ne pourront être suffisantes face à l’explosion annoncée des besoins et que soutenir les activités extractives à l’échelle européenne est aussi un moyen de promouvoir des mines industrielles respectant les plus hauts standards environnementaux. À la seule échelle française, la réforme du code minier – devenue un serpent de mer – et les arbitrages défavorables rendus sur les projets d’exploitation les plus récents laissent planer de très sérieux doutes quant à la capacité d’y parvenir.
Ephémérides
31/08
• Recul de 23,9 % du PIB indien au deuxième trimestre
• Record de l’indice MSCI des bourses mondiales
• L’Australie en récession pour la première fois depuis vingt-huit ans
• Annonce d’un plan de relance de € 100 milliards en France
• Départ de Roberto Azevedo de la direction générale de l’OMC (il part chez Pepsi Cola !
07/09
• Valdis Dombrovskis (Lettonie), nouveau commissaire européen au commerce international
• Projet de loi britannique revenant sur les engagements du traité du Brexit
• LVMH rompt ses fiançailles avec Tiffany
• Le Français Jean-Sébastien Jacques doit quitter la tête de Rio Tinto
• Accord commercial Royaume-Uni–Japon
14/09
• Reconnaissance d’Israël par les Émirats arabes unis et Bahreïn
• « Crise des incendies » aux États-Unis (Californie)
• Yoshidie Suza, Premier ministre japonais
21/09
• 75e anniversaire de l’ONU
• Lancement du premier porte-conteneurs fonctionnant au GNL (CMA-CGM)
• Prix record du rhodium : $ 14 490 l’once
28/09
• Un million de morts « officiels » du Covid
• Bataille autour de la Cour suprême aux États-Unis
• Hospitalisation de Donald Trump pour Covid
• Début de la « Golden Week » en Chine