Illusions et impasses de la réforme agraire au Brésil
Par Jean-Yves Carfantan – L’année 2020 marque les cinquante ans d’existence de l’INCRA, l’organisme fédéral chargé de la réforme agraire. L’inégalité de la répartition des terres, la réforme agraire, les mouvements de paysans sans terre, les conflits fonciers et la violence des grands latifundiaires : voilà autant de thèmes qui suscitent l’intérêt de l’opinion publique occidentale depuis des décennies. En Europe, des églises et des dizaines d’ONGs affichent leur sympathie et apportent leur soutien aux organisations de sans terre. Ces dernières ont su au fil des années construire une communication et des réseaux internationaux d’appui. Elles bénéficient aussi de l’attention (et de bienveillance) de nombreux groupes de sociologues, d’économistes ou d’anthropologues au Brésil comme à l’étranger. Du collège à l’université, l’enseignement brésilien propose très souvent une lecture partisane des enjeux fonciers et de la réforme agraire.
Voici donc cinquante ans que l’INCRA organise une réforme foncière qui vise essentiellement à réallouer des terres à des mouvements qui se présentent comme des organisations de paysans sans terre. Au fil des décennies, la « lutte pour la terre » a régulièrement fait la une de l’actualité politique brésilienne. Si elle a continué à susciter un courant de sympathie en Europe, elle a plutôt inquiété l’opinion publique brésilienne, sans doute plus au fait de la complexité et de la dimension politique des conflits agraires.
À l’occasion de cet anniversaire, le site istoebresil a publié six articles sur la question de réforme agraire rassemblés dans ce dossier. Les auteurs de ces contributions ont tous une expérience approfondie des agricultures brésiliennes. Ils travaillent depuis plusieurs décennies avec l’agriculture familiale du Sud/Sud-est du pays comme avec des exploitants pratiquant une agriculture d’entreprise sur le Centre-Ouest et le Nord. C’est à partir de cette expérience qu’ils apportent ici une lecture dissonante de la réforme agraire et des objectifs de mouvements sociaux qui prétendent aujourd’hui poursuivre une entreprise dont le bilan après plusieurs décennies est déplorable. Cette lecture critique commence par quelques repères historiques.